Le débat lancé par Médiapart sur les locations de salles par la campagne d’Emmanuel Macron suscite des réactions passionnées mais généralement assez peu informées de la réglementation en vigueur. Quelques éléments de contexte sur ce sujet.
Quelle est la loi, pour commencer ?
Cette question est régie par l’article L52-8 du code électoral qui dispose que :
Les personnes morales, à l’exception des partis ou groupements politiques, ne peuvent participer au financement de la campagne électorale d’un candidat, ni en lui consentant des dons sous quelque forme que ce soit, ni en lui fournissant des biens, services ou autres avantages directs ou indirects à des prix inférieurs à ceux qui sont habituellement pratiqués.
Vous noterez que la formulation n’interdit pas les réductions en soi, elles doivent en revanche être habituelles. Un imprimeur qui ferait usuellement 20% de réduction pour les volumes supérieurs à 500 tracts ou flyers pourra faire la même réduction à un candidat, mais il ne pourra pas lui offrir -50% parce qu’il l’apprécie.
Il est beaucoup plus simple de justifier du caractère habituel du prix en l’absence de négociation et il est généralement recommandé, par simplicité, de s’en abstenir. En particulier pour les élections locales, le candidat qui n’y connaît rien et est ravi de l’économie qu’il fait en passant par un prestataire ami qui lui fait “des conditions imbattables” est un classique à qui il faut expliquer que non, ça ne marche pas comme ça.
Dans ce genre de cas, le plus simple est de payer le prix public, quitte à ce que ce soit un peu plus cher, pour ne pas avoir à justifier de la ristourne. C’est aussi un choix parfaitement défendable pour un candidat bien financé qui ne souhaite pas consacrer des ressources aux négociations et à leur justification.
Que se passe-t-il en cas de violation ?
L’article L52-17 du code électoral entre alors en jeu. Celui-ci dispose que :
Lorsque le montant d’une dépense déclarée dans le compte de campagne ou ses annexes est inférieur aux prix habituellement pratiqués, la Commission nationale des comptes de campagne et des financements politiques évalue la différence et l’inscrit d’office dans les dépenses de campagne après avoir invité le candidat à produire toute justification utile à l’appréciation des circonstances. La somme ainsi inscrite est réputée constituer un don, au sens de l’article L. 52-8, effectué par la ou les personnes physiques concernées.
La commission procède de même pour tous les avantages directs ou indirects, les prestations de services et dons en nature dont a bénéficié le candidat.
C’est à cette étape qu’il est utile de pouvoir justifier du fait que les prix ne sont pas “inférieurs à ceux qui sont habituellement pratiqués” : la commission demande aux candidats des justifications utiles à son appréciation avant de déterminer le prix normal de la prestation et, le cas échéant, d’inscrire la différence comme un don, ce qui peut par ricochet faire dépasser des plafonds de financement1)Impossible ici, malgré les affirmations de certains qui comparent le plafond du premier tour au budget total de la campagne d’Emmanuel Macron, second tour inclus. ou constituer un financement illégal2)Potentiellement envisageable mais peu probable..
Il semblerait ici que la commission ait demandé des éclaircissements à la campagne d’Emmanuel Macron3)Selon Médiapart, mais je n’ai pas de raison d’en douter, c’est la différence entre un média partisan et une officine de “fake news” : je doute de leurs analyses mais ils vérifient les faits. mais ait été satisfaite des explications données puisque aucune requalification n’apparaît dans sa décision.
Mais Hamon et Fillon n’ont pas eu de réduction !
En fait, on s’en fiche un peu, ce n’est pas la question. Ils ont pu considérer qu’ils étaient bien financés et qu’il n’était pas nécessaire de négocier puis de devoir le justifier après pour se concentrer sur les problématiques politiques, ils ont pu penser qu’ils n’auraient qu’une réduction minime sur des réunions en pleine campagne le week-end alors qu’Emmanuel Macron dépendait de dons, avait plus besoin d’optimiser et pouvait espérer une meilleure réduction en semaine en plein mois de juillet. Bref, c’est leur problème.
La question à laquelle il faut répondre est plutôt : est ce que ce type de réduction est habituellement pratiquée dans ces conditions ?
Justement, est-ce habituel ?
La CNCCFP a jugé que oui, en ne pratiquant pas l’inscription d’office dans les comptes de campagne mentionnée à l’article 52-17 mais voici quelques éléments pour en juger par vous-même.
La réduction totale est aux alentours de 27%4)Certains médias mentionnent 21% mais je pense qu’ils appliquent la réduction trouvée par Médiapart sur la seule location au total de la facture, alors qu’il y a quelques réductions sur la partie “prestation”. pour un meeting en semaine en juillet. Vous pourrez constater que la Maison de la Mutualité fait des offres de cet ordre de grandeur en période creuse (dont juillet), y compris le week-end et avant même négociation.
A cela s’ajoute le fait que plusieurs personnes m’ont confirmé qu’il était extrêmement courant d’offrir la mise en place lorsque la prestation d’accueil, de traiteur, de régie était assurée par la même société (plutôt qu’une location sèche avec un prestataire externe)5)J’ai été plus prudent lors de la réponse initiale à Fabrice Arfi, mais j’ai depuis reçu d’autres témoignages allant dans le même sens.. Or la “journée gratuite” trouvée par Médiapart est justement la journée de mise en place.
Enfin, les militants d’En Marche ont réalisé bénévolement certaines activités habituellement réalisées par le prestataire, et En Marche a utilisé celui-ci fréquemment durant la campagne, ce qui peut justifier un effort supplémentaire de fidélisation de sa part.
In fine, on voit une négociation prudente qui reste très proche des promotions publiques : les 27% correspondent peu ou prou aux 25% offerts au public et aux activités réalisées par les militants. Une entreprise aurait certainement pu négocier plus dans ces conditions, mais la nécessité de conserver une marge pour se justifier aisément face à la commission implique de ne pas être trop agressif.
A l’inverse, d’ailleurs, c’est une explication qui pourrait être utilisée par Benoît Hamon pour se défendre, partiellement, d’une campagne coûteuse : lorsqu’on est bien financé mais manquant de soutien professionnel6)Le Parti Socialiste l’ayant, il faut bien le dire, soutenu comme la corde soutient le pendu., il peut être raisonnable d’être très conservateur et de ne pas négocier pour éviter tout risque de requalification et se concentrer sur la politique.
Mais que reproches-tu à Médiapart en fait ?
Commençons d’abord par ce que je ne leur reproche pas : de mentir. Dans ce contexte d’attaque constante des médias il est important, lorsqu’on souhaite améliorer la qualité de la presse par une critique justifiée, d’être précis dans ses accusations. Pas de carton rouge, donc, mais plusieurs cartons jaunes.
Premièrement, la facture est tronquée et le vocabulaire trompeur. Une journée de location offerte7)Ainsi que d’autres prestations annexes. pour la mise en place correspondant au total à 27% de la facture totale n’est pas une “location gratuite”. L’absence d’information sur l’intégralité de la prestation est extrêmement gênante car c’est ce qui détermine la légalité de la réduction.
Deuxièmement, il est abusif de considérer comme comparable une prestation en semaine et en juillet avec une prestation le week-end en janvier ou février, en particulier pour des lieux généralement utilisés par des entreprises.
Troisièmement, la comparaison avec les autres candidats ne prend pas assez en compte les spécificités des campagnes électorales et les différences de stratégie qui peuvent découler d’un financement plus ou moins abondant.
Quatrièmement, lorsqu’on mentionne que la CNCCFP a demandé des informations complémentaires, il m’apparaît utile de ne pas oublier qu’elle les a trouvé satisfaisantes.
Enfin, et pour finir sur une note positive, notre désaccord ne nous a pas empêché d’avoir un débat ferme mais courtois sur Twitter, ce dont je remercie Fabrice Arfi et Antton Rouget (l’auteur de l’article). C’est trop rare sur ce réseau.
Notes
↑1 | Impossible ici, malgré les affirmations de certains qui comparent le plafond du premier tour au budget total de la campagne d’Emmanuel Macron, second tour inclus. |
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↑2 | Potentiellement envisageable mais peu probable. |
↑3 | Selon Médiapart, mais je n’ai pas de raison d’en douter, c’est la différence entre un média partisan et une officine de “fake news” : je doute de leurs analyses mais ils vérifient les faits. |
↑4 | Certains médias mentionnent 21% mais je pense qu’ils appliquent la réduction trouvée par Médiapart sur la seule location au total de la facture, alors qu’il y a quelques réductions sur la partie “prestation”. |
↑5 | J’ai été plus prudent lors de la réponse initiale à Fabrice Arfi, mais j’ai depuis reçu d’autres témoignages allant dans le même sens. |
↑6 | Le Parti Socialiste l’ayant, il faut bien le dire, soutenu comme la corde soutient le pendu. |
↑7 | Ainsi que d’autres prestations annexes. |